CHAPITRE IX
La cabine de proue présentait un hublot en Armorplast, mais il était couvert.
C’était une des choses que détestait Howell dans l’espace du vortex. Il adorait contempler les étoiles dans toute leur beauté à couper le souffle, surtout quand il avait besoin de réfléchir à autre chose qu’à ses commandes, mais le processus du vol interstellaires les en dépouillait. L’approche du mur de la lumière était aussi spectaculaire qu’une aberration et l’effet Doppler prenait la suite. L’arc stellaire en constante contraction s’étirait de plus en plus loin devant, puis s’évanouissait dans le point aveugle engendré, par la propulsion Fasset tandis que le vaisseau traversait en accélérant le noir abysse du Seigneur lui-même… jusqu’à ce que le passage à la vitesse supraluminique commence à fendre même cela comme une hache. Ne restait plus alors que le néant du vortex, qui n’était plus noir ni sombre ni clair, mais tout simplement un rien, une absence. Howell ne faisait pas partie des malheureux pour qui ce néant déclenchait une crise d’hystérie incontrôlée, mais il le mettait… mal à l’aise.
Il renifla et se retourna pour vérifier son écran de contrôle. Il n’avait amené cette fois-ci que ses trois cargos les plus rapides et l’escadron formait une sphère compacte autour de leurs points lumineux et de son vaisseau amiral. Ils ralentissaient sans doute les bâtiments de combat en dépit de leur vitesse (pour des cargos), mais l’escadron tournait malgré tout à huit cents fois la vitesse de la lumière dans son univers privé. Ou de la vélocité à tout le moins, que le reste de l’univers aurait imprimée aux vaisseaux d’Howell. De fait, même un vaisseau mû par la propulsion Fasset était incapable de franchir le mur de la lumière. Toute tentative en ce sens l’aurait projeté dans une sorte de sous-continuum où les lois de la physique souscriraient à d’étranges clauses. Et d’une, la vitesse effective de la lumière était nettement plus grande ici, tandis que la vélocité maximale accessible y était limitée par la masse relative du vaisseau et la masse restante, non relative, elle, du trou noir de son propulseur Fasset. Les astrophysiciens n’avaient pas encore découvert exactement de quoi il retournait – les bains de sang tendaient à monter jusqu’aux chevilles quand la Société impériale débattait de théories opposées –, mais ils avaient mis au point les équations mathématiques chargées de décrire le phénomène. Le pourquoi importait peu à des routiers de l’espace tels qu’Howell, tant qu’ils en comprenaient les conséquences pratiques, à savoir que cesser d’accélérer revenait à décélérer à un train sans cesse croissant, et qu’accélérer finissait par freiner l’accroissement de la vélocité pour se contenter de la maintenir constante.
Il consulta sa montre. Alexsov n’allait plus tarder, songea-t-il en réfrénant son impatience avant d’aller de nouveau réfléchir sur son écran.
Ils filaient à l’aveuglette – encore une chose qu’il haïssait dans l’espace du vortex. Les détecteurs gravifiques pouvaient sans doute sonder cet espace lui-même pour repérer, à plus de deux années lumière, la titanesque anomalie gravitationnelle d’un vaisseau supraluminique, mais nul n’avait encore inventé un appareil susceptible d’en scruter l’extérieur, soit l’espace N, normal. Raison pour laquelle il fallait, avant de s’y engager, foutrement s’assurer de sa trajectoire et du temps de rotation nécessaire pour pivoter à cent quatre-vingts degrés, parce qu’il était exclu de rectifier le cap durant le transit. De bien des façons, passer dans l’espace du vortex ressemblait à ramper dans un trou en l’entrainant derrière soi, encore que cette analogie ne fût pas exempte inconvénients.
Tout d’abord, un autre peut toujours entrer avec vous dans trou car l’espace du vortex est davantage une fréquence qu’une dimension. Si un autre vaisseau parvient à atteindre vingt ou trente pour cent de la vélocité relative, son vortex et le vôtre sont alors en phase. S’il s’agit d’un ami, c’est bel et bon ; mais, si c’est un ennemi, il peut immédiatement tenter de vous détruire.
Bien entendu, se rappela Howell avec un sourire amer, talonner de trop près un vaisseau dans le vortex peut poser des problèmes. Dès qu’il cesse d’accélérer, sa vitesse commence à tomber ; s’il se retourne à cent quatre-vingts degrés pour vous présenter son propulseur Fasset, sa décélération massive risque non seulement de vous conduire à le dépasser, mais encore, s’il s’y livre assez rudement, de le propulser dans l’espace normal comme s’il avait jeté l’ancre. Dans les deux cas, vous êtes dans la panade. Restez en phase et son feu arrivera brusquement sur vous par-derrière, sans la protection du bouclier de votre masse de propulsion. Qu’il passe en vitesse subluminique et que vos gars ne soient pas très futés, vous ne le reverrez plus jamais. Il est temps de vous projeter de nouveau dans l’espace normal, voit vous retrouverez peut-être à des heures-lumière de sa position dans cet espace N, sans doute hors de portée de toute détection sauf gravifique : couper sa propulsion, autrement dit, l’aura tout bonnement fait disparaître.
Ça n’en reste pas moins une initiative désespérée de la part du traqué. Si jamais les boucliers latéraux de sa masse de propulsion – ou ceux de son ennemi – viennent à faillir, ces trous noirs risquent de l’engloutir sans même recracher ses os. Pire, il pourrait parfaitement en percuter un la tête la première, provoquant ainsi leur mutuelle et totale destruction, et, si ça reste sans doute improbable, l’improbable se produit parfois.
Admettons qu’il évite l’immolation par les propulseurs Fasset de ses poursuivants ; leur tir risque alors de jouer de bonheur pendant le survol et, même si tel n’est pas le cas, les trajectoires dans le vortex doivent être très soigneusement calculées par ordinateur. La moindre déviation met à mal tous les calculs et toute modification de l’accélération vous balance tout un profil de vol aux orties. Une fois son vecteur originel perdu, il doit impérativement repasser en vitesse subluminique et redéfinir sa position, avant de programmer un nouveau cap supraluminique, peut exiger des jours, voire des semaines d’observation. Ça fout en l’air, à tout le moins, tout plan prévisionnel d’opération et…
Un doux et harmonieux carillon interrompit la rêverie d’Howell, et il se retourna pour appuyer sur le bouton autorisant l’accès. Gregor Alexsov franchit l’écoutille et Howell consulta sa montre avec ostentation.
« Trois minutes de retard. Quelle sombre et urgente affaire a bien pu vous retenir ?
La bouche rude d’Alexsov se fendit d’un rictus docile, mais tous deux étaient conscients qu’Howell ne plaisantait qu’à moitié. Il connaissait Alexsov depuis douze ans, mais ils ne s’étaient jamais vraiment liés d’amitié. Ils l’avaient sans doute frôlée de plus près qu’aucune autre personne de la connaissance d’Alexsov, mais ça ne voulait pas dire grand-chose. Le chef d’état-major d’Howell lui rappelait davantage une IA qu’un être humain par sa ponctualité obsessionnelle… ce qui n’était pas plus mal, compte tenu de leurs activités présentes, se persuada le contre-amiral.
« Aucune urgence, répondit Alexsov. Juste un petit retard, le temps de conseiller le capitaine Watanabe.
— Watanabe ? » Howell pencha la tête. « Des problèmes ?
— J’en sais rien. Il m’a l’air un peu nerveux.
— Hum. » Howell se laissa tomber dans un fauteuil et plissa les lèvres. Plusieurs mois de préparatifs minutieux lui avaient permis de s’adjuger le concours d’un noyau initial d’officiers expérimentés, mais ils n’étaient jamais assez nombreux. Raison pour laquelle Contrôle continuait de recruter prudemment. La plupart des nouveaux venus avaient trouvé leur place, mais les réalités de leurs devoirs étaient plus sombres qu’on aurait pu se l’imaginer avant de débarquer. Un certain pourcentage d’entre eux s’était révélé… inadaptés, dès qu’ils avaient pleinement conscience de ce qu’on attendait d’eux.
« Vous en avez parlé à Rachel ?
— Bien sûr. » Alexsov, planté derrière sa propre chaise, eut un infime haussement d’épaules. « D’où mon retard. Elle m’a promis de le tenir à l’œil. »
Howell opina, enchanté de remettre le problème du capitaine Watanabe entre les mains expertes de Rachel Shu, puis reporta son attention sur d’autres sujets.
« Tant pis pour lui. Mais je doute fort que vous ayez demandé à me voir rien que pour me parler de lui.
— En effet. Je suis revenu sur le dernier paquet de données de Contrôle et il ne manque pas de m’inquiéter.
— Oh ? » Howell se redressa légèrement. « Pourquoi ça ?
— Parce que, plus je me penche sur les rapports postérieurs à l’opération sur le monde de Mathison, plus je me rends compte que Contrôle a lamentablement foiré là-bas. Ça ne me plaît pas… surtout au moment où nous nous apprêtons à frapper une cible comme Élysée.
— Voyons, Greg ! Contrôle avait mis dans le mille à propos des moyens de défense de Mathison, et les cartes planétaires avaient exploré jusqu’au dernier centimètre carré. Nul n’aurait pu prévoir que cette boîte en fer-blanc se trouverait sur place.
— Je sais, mais il aurait pu nous prévenir pour cette DeVries. »
Howell se rejeta en arrière, l’œil incrédule, mais Alexsov soutint son regard. Il était mortellement sérieux, se rendit compte l’amiral.
« Cette planète était peuplée de quarante et un mille individus, Greg, et Alicia DeVries n’était que l’un d’entre eux. Si vous attendez de Contrôle qu’il rende compte du moindre fesse-mathieu présent sur chaque boule de merde que nous visons, vous exigez beaucoup de lui.
— Je n’en demande pas tant. Mais un commando de choc quel qu’il soit – n’est pas exactement un “fesse-mathieu”, et celui-là était Alicia DeVries. Si j’avais connu sa présence, j’aurai, ordonné une frappe orbitale sur sa ferme et on n’en aurait plus parlé.
— Seigneur, Greg ! Ce n’est qu’une femme !
— J’étais commandant en second sur un croiseur léger détaché pour couvrir le raid sur Shallingsport, poursuis Alexsov. Croyez-moi, amiral, s’en prendre à quelqu’un comme elle sur son terrain n’est jamais payant. »
Un poil surpris par la véhémence d’Alexsov, mais contraint d’admettre au moins une partie de ses dires, Howell poussa un grognement. Mais, même dans ces conditions…
« Je ne peux toujours pas accabler Contrôle, puisque tout le reste a été vérifié à la perfection. Et ce n’est pas comme si elle nous avait causé des dommages irréparables.
— Je n’en suis pas si sûr. » La réaction d’Alexsov l’étonna de nouveau. « La perte d’une unique équipe d’assaut n’aurait certainement pas grande importance en temps normal, mais ils ont identifié Singh, de sorte qu’ils savent maintenant où nous recrutons. Je ne connais pas Mcllheny, mais j’ai lu son dossier. Il va continuer de gratter jusqu’à la fin des temps. S’il creuse assez profond, ça pourrait le conduire à Contrôle, et rien de tout cela ne serait arrivé s’il nous avait prévenus contre DeVries. Bordel, amiral ! » Le juron était bien inhabituel dans la bouche d’Alexsov. « Contrôle a les moyens de se renseigner là-dessus et il est censé nous en parler. C’est exactement le genre de bourde qui pourrait foutre en l’air toute l’opération.
— D’accord, Greg ! » Howell leva une main apaisante. « Mais calmez-vous. Ce qui est fait est fait… et je suis certain que contrôle s’efforcera de mieux se rancarder à l’avenir. De fait, j’ai demandé à Rachel de lui adresser une requête précise à cet effet. Ça vous convient ?
— Il faudra bien, j’imagine », répondit sombrement Alexsov, et Howell comprit qu’il n’obtiendrait pas de lui un accord plus péremptoire. Alexsov donnait l’impression d’avoir été personnellement insulté par la stupéfaction qu’il avait éprouvée, mais c’était précisément ce perfectionnisme (et l’eau glacée qui coulait dans ses veines) qui en faisait l’homme idéal pour ce boulot.
« Parfait. En ce cas, comment s’est passé votre voyage à Wyvern ?
— Plutôt bien, à dire vrai. » Alexsov prit enfin place dans fauteuil vide. « J’ai remis nos premières commandes à Quintana. Ce bouleversement de nos priorités n’a pas eu l’air de le perturber, sans doute à cause de ce qu’il espère empocher… et il m’a garanti qu’il pourrait acheter tout ce dont nous aurons besoin et fourguer tout ce que nous lui enverrons. Nous ne toucherons pas exactement les mêmes bénéfices sur les articles industriels et les gros éléments, puisqu’il compte s’en défausser hors du secteur sur les mondes dissidents les moins avancés, mais il me semble que ça en vaut la peine du point de vue de la sécurité, et j’ai l’impression que nous nous en tirerons mieux avec les articles de luxe en passant par son entremise plutôt que par celle des Lézards. Je m’attends à ce que nos gains s’équilibrent globalement, et, d’ailleurs, nous ne participons pas à cette entreprise pour faire du fric, pas vrai, amiral ?
— Non, convint Howell. Non, en effet. » Il soupira. « Je suppose que vous avez eu le temps de parler d’Élysée avec Rendleman. Satisfait ?
— Oui, amiral. Nous avons débattu de quelques modifications mineures et nous allons les passer au simulateur pour voir ce qu’elles donnent.
— Aucun souci sur les renseignements transmis par Contrôle cette fois-ci ?
— Pas franchement, amiral. » Alexsov se borna à hocher légèrement la tête. « Ce serait plutôt une question de “chat échaudé…”, j’imagine, mais j’ai pris la peine de soumettre le rapport de Contrôle sur l’affaire DeVries à tous les commandants de nos équipes d’assaut, juste au cas où. Néanmoins, cette fois-ci, il ne s’agira plus pour les soldats cuirassés que de frapper et de ramasser, donc, à moins que Contrôle ne se soit foutu dedans dans les grandes largeurs, nous ne devrions rencontrer aucun problème au sol.
— Personne ne donne l’impression de s’inquiéter qu’on s’attaque aux défenses d’un monde incorporé ?
— Il doit bien y avoir çà et là quelques bouches un peu sèches, mais rien de très sérieux, et le fait qu’on dispose des ordres de déploiement de l’amiral Gomez devrait aider à les rasséréner. Avec votre permission, je compte d’ailleurs les mettre en place là où les chefs d’équipe pourront les vérifier personnellement, afin de rassurer leurs gars sur le bon déroulement de l’opération.
— Est-ce vraiment une bonne idée ? Ce sera la plus difficile de toutes jusque-là et vous pouvez parier que ceux qui seront faits prisonniers parleront d’une manière ou d’une autre.
— Je ne crois pas qu’il y aura un problème, amiral. Tous nos gars seront pourvus de cuirasses énergétiques, et je toucherai un mot au major Reiter. Les charges explosives destinées aux suicides seront armées et équipées pour être activées par télécommande. » Alexsov eut un petit sourire cynique qui glaça le sang d’Howell, mais la conversation se poursuivit sur le même ton. « Je ne vois aucune raison d’y faire allusion. Et vous, amiral ? »
L’amiral Trang fixa la petite éclaboussure de lumière le visage renfrogné. Elle miroitait à l’extrême lisière de la portée des détecteurs gravifiques de sa forteresse de commandement, bien au-delà d’un autre point lumineux, nettement plus proche, qui s’apprêtait déjà à ralentir pour entrer dans la lumière du soleil. Le plus proche de ces deux points ne le dérangeait pas ; ce n’était qu’un simple vaisseau et, s’il ne s’abusait pas, il devait s’agir du transport de la Flotte dont Soissons lui avait annoncé l’arrivée. Mais cette autre source de gravité… Elle était bien plus grosse, en dépit de la distance, ce qui laissait entendre qu’il n’y avait pas qu’un seul bâtiment… et personne ne l’en avait averti.
« Combien de temps encore avant qu’on soit fixé ? demanda-t-il à son officier de quart.
— Dans dix heures, ils devraient être assez près pour qu’on distingue les sources énergétiques ou, du moins, leurs signatures Fasset.
— Hum. » Trang se massa pensivement le menton. Comme tous les officiers supérieurs du système franconien, il avait été soigneusement briefé sur le mode opératoire de ceux qui le razziaient. Jusque-là, ils ne s’étaient jamais attaqués à un système doté de défenses en espace profond, ce qui, tout bien pesé, faisait d’Élysée une cible bien improbable.
Il croisa les mains derrière le dos et se balança sur les talons. Le cargo serait profondément enfoncé à l’intérieur du système, sous le couvert de ses armes, avant que cette flottille ne se fût assez rapprochée pour poser un problème, mais, à part ses deux corvettes, il ne possédait aucune unité mobile. Si jamais ces casse-pieds leur cherchaient des poux dans la tête, ses forteresses orbitales se retrouveraient livrées à elles-mêmes, et elles ne valaient pas grand-chose comparées à celles d’un système du Noyau. Pourtant, ce dont il disposait pouvait affronter quasiment n’importe quoi à part un escadron complet ; le Génie génétique avait bien pris soin de s’en assurer avant d’établir là ses nouvelles installations de recherches biologiques.
Trang se retourna pour fixer un écran sans vraiment voir la sphère blanc et bleu qu’il affichait. En matière de défenses locales, on ne trouvait pas grand-chose ici, en dépit des efforts du gouvernement planétaire pour mettre sur pied une manière de milice défensive destinée à renforcer la petite garnison de la Spatiale. Il ne servait pratiquement à rien d’édifier au sol des défenses contre une attaque spatiale ; si un gros vaisseau de guerre parvenait à portée d’armes d’une planète, celle-ci était cuite quoi qu’il arrivât à son assaillant, car les trous noirs d’une douzaine de FRAPS descendant à une vitesse proche de celle de la lumière réduiraient en pièces n’importe quelle planète.
Raison pour laquelle la plupart des mondes habités n’avaient de défenses que spatiales. Dans un certain sens, l’absence totale d’armement était encore leur meilleure protection. À ce jour, les seules guerres réelles de l’humanité s’étaient réduites à des effusions de sang intra-muros et à des accrochages avec les Rishatha, et on ne peut s’attendre à voir des adversaires convoitant le même type de territoires pulvériser de bonnes planètes à moins d’y être contraints. Des frappes sur des cibles précises, certes ; pas de génocides.
Mais, pour l’heure, Trang regrettait qu’Élysée ne fût pas hérissée de fortifications au sol – ou, du moins, défendue par une garnison d’une taille convenable. Les planètes impériales n’avaient pas subi d’attaques de pirates de cette envergure depuis plus de deux siècles, et l’Empire avait oublié à quoi ça ressemblait. Les pirates avaient fort peu de chances de s’attaquer à un monde quand une ou deux brigades de la Spatiale les attendaient au sol pour les tailler en pièces, mais Élysée ne disposait même pas d’un bataillon entier.
Il se retourna vers l’écran, fusilla du regard les inconnus qui fonçaient sur son système et envisagea un instant de contacter Soissons puis secoua la tête. S’il s’agissait effectivement de l’annonce d’un raid, Soissons n’y pourrait rigoureusement rien, et il ne voyait lui-même aucune raison d’appeler au secours : ses senseurs devraient pouvoir identifier ces gens bien avant qu’ils ne soient en mesure d’engager le combat. Toute communication interstellaire de la capitale du secteur n’aurait d’autre effet que de mettre en lumière sa propre nervosité.
« Continuez de les surveiller étroitement, Adela, ordonna-t-il à son officier de quart. Dès que vous aurez quelque chose de tangible, faites-le-moi savoir.
— Oui, amiral. » Le capitaine Adela Masterman hocha la tête et communiqua avec la synthconnexion de son casque, afin de laisser les mêmes instructions à l’officier qui la relèverait ;
Trang jeta un dernier regard à l’écran et quitta la salle de contrôle.
Plusieurs heures plus tard, le communicateur de l’amiral Trang bourdonna et s’éclaira, affichant le visage souriant du capitaine Masterman.
« Désolée de vous déranger, amiral, mais nous disposons d’un début d’identification de nos inconnus. Nous ne savons toujours pas qui ils sont, mais ils sont indubitablement équipés de propulseurs Fasset de la Flotte. Il semble s’agir d’un détachement léger… un seul cuirassé d’escadre, trois croiseurs de combat, deux ou trois cargos et des escorteurs.
— Parfait. » Trang, ne prenant conscience de sa très réelle inquiétude qu’au moment où le soulagement l’envahit, lui rendit on sourire. Il n’avait aucune idée de ce que venait faire ici un détachement, mais, compte tenu des circonstances, il était ravi de le voir. « Combien de temps avant qu’ils ne passent en vitesse subluminique ?
— À leur rythme actuel de décélération, environ onze heures, soit cinq heures après ce transport de la Flotte. Compte tenu de leur avantage en matière de propulsion, ils seront encore à quinze ou vingt minutes-lumière quand le cargo atteindra l’orbite d’Élysée.
— Faites passer le mot au capitaine Brewster, Adela. Qu’il leur assigne des orbites de garage et qu’il prévienne le chantier naval s’ils ont besoin de réparations.
— Ce sera fait, amiral », répondit Masterman. L’écran s’éteignit.
Le capitaine Masterman sortit de l’ascenseur devant le contrôle principal, les mains pleines de tasses de café et de beignets, et elle enfonça du coude le bouton d’ouverture de l’écoutille. Le panneau coulissa et elle se faufila en souriant dans le ConPrin.
« J’apporte des cadeaux d’apaisement », annonça-t-elle, et un tonnerre d’applaudissements l’accueillit. Elle se fendit d’une majestueuse révérence puis jeta un coup d’œil au chronomètre de la cloison tout en rangeant soigneusement de côté ses friandises. Il lui restait huit fabuleuses minutes avant de reprendre son quart… juste le temps d’échanger quelques mots avec le capitaine de corvette Brigatta. C’était super ; elle avait des projets pour le bel officier des transmissions à la peau foncée, la prochaine fois où leurs jours de perme coïncideraient.
Elle venait tout juste d’atteindre le poste de Brigatta quand le lieutenant Orrin se raidit brusquement devant son écran. Masterman surprit le geste du coin de l’œil et, d’étonnement, se tourna machinalement vers son assistant.
« Voilà qui est foutrement étrange », marmonna Orrin. Il releva les yeux vers son chef et désigna de la main l’écran de Brigatta tout en dérivant le sien dessus. « Regardez un peu ça, capitaine. » fit-il. Une vue de l’espace à proximité de la planète s’épanouit sur l’écran. « Je sais bien que le capitaine de ce transport a laissé entendre qu’il avait hâte de décharger, mais, là, il exagère. Il a dépassé de presque cinquante pour cent la vitesse normale d’approche et, maintenant… il est en train de se retour… Dieu du ciel ! »
Adela Masterman se pétrifia ; le « transport » avait subitement cessé de freiner et pivotait pour accélérer vers Élysée… à vingt-deux g ! Impossible ! Aucun cargo n’était en mesure de déployer une telle puissance à l’intérieur de la limite de Powell d’une planète. Mais celui-là en était capable, et son incrédulité se changea en horreur quand le « transport » abaissa ses contre-mesures électroniques pour révéler ce qu’il était réellement ; un croiseur de combat. Un croiseur de combat de la Flotte – un de leurs propres vaisseaux – qui venait de lever son bouclier pendant que Masterman le fixait… et larguait maintenant des FRAPS !
L’alarme QG se déclencha, ululante, et Adela fonça rejoindre son poste, mais c’était un pur automatisme. En son for intérieur, elle savait déjà qu’il était trop tard.
Les stations de communications interstellaires ne sont jamais basées sur une planète. Ce sont d’énormes structures – moins massives qu’étendues, et pleines de vide –, et les construire de façon à leur permettre de résister à la pesanteur d’une planète reviendrait beaucoup trop cher ; mais la vraie raison pour laquelle on ne les trouve que dans l’espace est bien plus simple. Nul ne tient à multiplier les trous noirs, si petits soient-ils, à la surface de son monde, en dépit de ce dont sont capables tous les boucliers antigrav et autres garde-fous de la Galaxie. On les place donc en orbite, d’ordinaire à quelque quatre cent mille kilomètres au moins, ce qui les maintient également au-delà de la limite planétaire de Powell et double leur efficacité quand elles plient l’espace pour permettre des transmissions supraluminiques.
Hélas, cette solution éminemment raisonnable est un talon d’Achille pour le commandement stratégique. Les vaisseaux stellaires et les planètes privées de communications interstellaires doivent s’en remettre aux drones FRAPS, sans doute plusieurs fois plus rapides que la lumière, mais nettement plus lents que les transmissions interstellaires et, comparés à elles, d’une portée effroyablement plus courte, si bien que la priorité de tout pirate est la destruction de la station de la proie convoitée. Sans elle, il aura tout le temps devant lui. Celui de frapper ses objectifs et de remplir sa mission… et celui de disparaître avant même que quiconque en dehors du système n’ait eu vent de son passage.
Le capitaine Homer Ortiz était assis dans son fauteuil, le visage tendu ; ses premiers FRAPS venaient de décoller. Ortiz était relié à une connexion cybersynth et il en était ravi, car elle lui avait autorisé un accès direct quand le Poltava était passé à l’attaque. Son contrôle net et sans bavures de l’impassible IA lui avait permis d’envoyer la première salve vers la station orbitale de transmission, à travers deux cent mille kilomètres d’espace, avec une accélération de quinze mille g ; ils avaient frappé cinquante et une secondes plus tard, en filant seulement à trois pour cent de la vitesse de la lumière, mais c’avait été plus que suffisant, et ça l’aurait même été sans le trou noir qui précédait chaque missile.
D’autres armes étaient déjà en chemin… pas des FRAPS, cette fois-ci, mais des missiles à effet Hauptmann. Leur accélération initiale était bien plus élevée, et ils n’avaient à parcourir que la moitié à peine du trajet des FRAPS. La première ogive de mille mégatonnes explosa vingt-sept secondes après le largage.
Le capitaine Masterman venait tout juste de coiffer son casque quand elle mourut avec neuf mille autres personnes. Alors les missiles suivants commencèrent de faire mouche.
La nuit faisait déjà place au jour sur la planète Élysée quand les deux tiers des défenses orbitales disparurent en moins de deux minutes. Des yeux stupéfaits furent contraints de se détourner du cercle de soleils qui flamboyait dans le ciel ; les esprits refusaient obstinément d’embrasser l’amplitude du désastre. En quatre siècles, jamais la Flotte impériale n’avait essuyé de telles pertes, sans infliger le moindre dommage à l’ennemi, mais jamais non plus la Flotte n’avait subi l’attaque de ses propres vaisseaux, et le carnage qu’un seul croiseur de combat piloté par cybersynth pouvait engendrer quand il ne rencontrait aucune opposition dépassait tout bonnement l’entendement.
Réagissant au premier avertissement horrifié, le gouverner de la planète se rua sur son communicateur ; il arriva au moment précis où le dernier missile se fracassait contre l’ultime forteresse située dans le champ de tir du Poltava, et son teint vira au crayeux. Le personnel des trois forteresses rescapées se précipitait déjà à son poste de combat, mais la vitesse du croiseur en maraude accéléra, dépassant déjà deux cents kilomètres/seconde, en même temps qu’il traçait une ligne au cordeau au travers de leur cercle de protection. Il s’éloigna de la planète et eut la première des survivantes en acquisition juste avant que les armes de celle-ci ne s’alignent ; Ortiz largua une nouvelle salve de FRAPS avec un sourire sardonique. La forteresse ne disposait d’aucun moyen de les arrêter, et le gouverneur poussa un grognement en les voyant la faire voler en éclats.
La deuxième forteresse eut le temps de riposter par une salve larguée en toute hâte mais pas celui de procéder à de minutieuses corrections de tir, et elle disparut à son tour.
La dernière parvint à relever son bouclier, mais dut affronter le plus cruel des dilemmes. Son équipage détenait des FRAPS… mais n’osait pas s’en servir. Ortiz avait réglé sa course serrée, au mépris du danger, et posté le Poltava entre Élysée et elle, bien plus près de la planète. Elle ne pouvait donc riposter qu’avec des rayons et des ogives, de crainte qu’une FRAPS manquant sa cible de peu ne vienne télescoper ce qu’elle voulait protéger ; en outre, ses canonniers étaient secoués jusqu’au tréfonds par cette catastrophe qui les dépassait. Ils firent de leur mieux, mais ça ne servit strictement à rien. Leurs premières salves étaient encore à mi-chemin quand Ortiz largua une nouvelle nuée de FRAPS puis retourna son vaisseau à cent quatre-vingts degrés pour présenter directement à la forteresse condamnée le trou noir du propulseur Fasset du Poltava, qui les engloutit.
Douze minutes cinq secondes et soixante-treize mille morts après le début de l’attaque, il ne restait plus une seule forteresse dans le ciel d’Élysée.
« Phase un couronnée de succès, amiral », annonça le capitaine Rendleman. Howell hocha la tête. Les détecteurs gravifiques, à la différence des autres senseurs, sont plus rapides que la lumière, et ceux de son vaisseau amiral avaient repéré leur cheval de Troie et les tirs de ses FRAPS. C’était une sensation effroyable que de voir les forteresses intactes sur les écrans à vitesse lumière, tout en sachant qu’elles avaient cessé d’exister avec tous ceux qu’elles abritaient.
Il réprima un frisson et décocha un petit sourire entendu à Alexsov. Le chef d’état-major s’était élevé contre le projet d’essayer d’introduire plus d’un vaisseau en tapinois, au motif que le Poltava pouvait parfaitement se charger tout seul de la besogne et qu’en engager plusieurs risquait de réduire à néant un inestimable effet de surprise.
« Deux petits bâtiments quittent l’orbite, amiral, déclara soudain Rendleman.
— Pile à l’heure », murmura Alexsov, et Howell opina de nouveau, tout en regardant par le truchement de sa synthconnexion les deux corvettes accélérer désespérément vers leur monstrueux ennemi. Nulle corvette n’est assez puissante pour affronter un croiseur de combat… mais il ne restait rien d’autre à Élysée.
Les corvettes Hermès et Léandre chargeaient le croiseur destructeur en s’abritant derrière leur propulsion Fasset à son approche. Elles étaient plus près de la planète que lui, mais Ortiz avait fait pivoter le Poltava pour leur présenter sa proue. Le vaisseau s’avançait vers elles en décélérant alors même qu’elles piquaient sur lui, et l’Hermès fit une embardée pour tenter de se soustraire à sa ligne de tir et réussir à larguer son drone FRAPS avant d’être détruit.
Ortiz le laissa filer pour se concentrer sur son jumeau. Les lasers à courte portée et les rayons à particules réduisirent le petit vaisseau de guerre en une épave quasiment évaporée, mais la distance était trop brève pour permettre d’intercepter les deux torpilles à haute charge énergétique du Léandre et elles explosèrent sur le bouclier du Poltava. L’impact secoua le vaisseau jusqu’à la quille et Ortiz grimaça quand les rapports d’avarie se mirent à clignoter dans son casque. Son assistant était déjà en train d’activer les protocoles de contrôle des dommages, mais la moitié des supports énergétiques de la proue avaient été balayés avec plus de trente pour cent de l’équipage. Les avaries étaient loin d’être critiques – pas assez en tout cas pour ralentir le croiseur quand il se lança à la poursuite du dernier survivant – mais, après ce qu’il avait fait subir aux forteresses, elles n’en étaient que plus mortifiantes, et bien assez sérieuses pour lui inculquer une certaine prudence.
Le capitaine de la dernière corvette regardait le croiseur de combat lui foncer dessus, tandis que son cerveau cherchait frénétiquement un moyen de l’arrêter. Non pas de survivre, car il n’en existait aucun, mais de protéger Élysée contre lui.
Le croiseur lui arrivait dessus rapidement, machine arrière, en lui présentant directement son propulseur Fasset afin de lui interdire tout tir. Il exerçait déjà sa pesanteur sur la corvette en tirant son accélération croissante de l’attraction de sa propre masse de propulsion, alors que celle de l’Hermès le freinait. Il disposait déjà de plus d’accélération qu’il n’en fallait pour frapper la corvette, mais le capitaine du croiseur jouait prudemment cette fin de partie, protégeant son vaisseau par propulsion interposée jusqu’à ce qu’il décide de se retourner pour engager le combat. Peut-être même un peu trop prudemment. Les armes de l’Hermès ne pouvaient guère faire de mal à son croiseur, et, en certaines circonstances, la prudence peut être plus téméraire que l’intrépidité.
« Capitaine ! » La voix de son officier de quart était tendue et son visage blême mais impassible, comme s’il s’efforçait de dominer sa peur ; pas assez, cependant, pour masquer son incrédulité. « La banque de données connaît ce croiseur !
— Quoi ? » Le capitaine pivota dans son fauteuil de commandes.
« Oui, capitaine. C’est le HMS Poltava ! »
Le capitaine ravala un juron incrédule. Ça ne pouvait pas être vrai ! Sûrement une sorte de contre-mesure électronique ! Jamais, au grand jamais, un croiseur de la Flotte n’aurait infligé cela aux siens ! Mais…
« Parez et actualisez le drone !
— Paré ! répondit son officier des transmissions. Programme verrouillé !
— Larguez ! »
Le capitaine se retourna vers son écran, les mâchoires serrées dans un rictus de tête de mort. Son vaisseau ne s’en tirerait pas, mais il aurait au moins envoyé un message. L’état-major saurait tout ce qu’il savait lui-même, car l’ennemi ne parviendrait jamais à intercepter le drone et les données de son senseur.
Le drone s’éloigna en zigzaguant et, caché par les propulseurs de la corvette et ceux du Poltava, fila tout droit devant l’Hermès jusqu’à se trouver hors de portée de tir des armes énergétiques. Mais les équipes de surveillance d’Ortiz relevèrent sa signature gravifique alors qu’il commençait à traverser l’écliptique, et elles étaient prêtes.
L’officier des transmissions du croiseur de combat envoya un code complexe et le capitaine de l’Hermès, horrifié, vit le drone se plier à cet ordre (à la directive même de la Flotte, dûment authentifiée, qui permettait de passer outre aux ordres antérieurs) et s’autodétruire.
Il comprit à cet instant. Comprit qui étaient ses ennemis, d’où ils venaient… et l’envergure de la trahison. Quelque chose se brisa en lui et il aboya de nouveaux ordres de route tandis que le propulseur Fasset du croiseur se rapprochait de plus en plus, machine arrière. Les boucliers latéraux de son propulseur tombèrent et le vaisseau commença à pivoter.
L’Hermès se trouvait à présent dans l’angle aveugle de son ennemi et décrivait un arc de cercle le long duquel la propulsion du croiseur bloquait ses senseurs. Il ne s’en fallait plus que de quelques secondes avant que la corvette ne pivote pour se dégager de la masse de propulsion et braquer ses propres armes, mais le capitaine de l’Hermès n’avait pas besoin de davantage. C’était la seule chose de tout l’univers à laquelle il aspirait à présent.
Le Poltava se mit donc à pivoter et son IA elle-même ne s’en rendit pas compte que l’Hermès s’était déjà retourné et avais aligné sa propulsion sur un cap d’interception.
L’amiral Howell poussa un juron grossier en voyant disparaître les deux propulsions Fasset ; qu’il n’eût rien vu venir ne fit qu’ajouter à son amertume. Quel crétin ! Tout foutre en l’air après sa frappe initiale si brillante, si pleine de panache ! Même un enseigne de vaisseau de deuxième classe, pour l’amour de Dieu !, sait qu’il est stupide de s’approcher autant de la masse de propulsion d’un ennemi, surtout quand votre puissance de feu est d’une telle supériorité sur celle de l’ennemi que sa perte est inéluctable !
Mais Howell ne pouvait strictement rien y faire. Le reste de son escadre se trouvait encore à quinze minutes-lumière d’Élysée, bien trop loin pour qu’une transmission atteignît Ortiz à temps. Il allait donc devoir assister, sous ses yeux impuissants, au spectacle de l’anéantissement d’un quart de la force de son escadre.
Il inspira profondément et se contraignit à reprendre ses esprits. Il n’était plus possible de remettre le lait répandu dans la bouteille et il devait s’inquiéter de problèmes plus pressants… ce que, par exemple, le gouverneur de la planète allait faire de son drone FRAPS d’urgence.
De tout le système, celui-ci était la seule arme qui menaçât encore les vaisseaux d’Howell. Sans doute ne pouvait-il plus leur faire grand mal, mais, s’il réussissait à fuir en emportant un enregistrement de la signature du Poltava, la Flotte risquait d’en apprendre beaucoup trop. Si Ortiz n’avait pas commis cette énorme boulette, cette menace aurait peut-être été minimisée, même si le gouverneur se rendait compte que le drone de la corvette avait été détruit et réduit au silence par cet ordre d’autodestruction. Les armes du Poltava n’auraient sûrement eu aucune difficulté à l’anéantir alors qu’il sortait de l’atmosphère. Ses propres vaisseaux, eux, en étaient incapables. À une telle distance, l’épingler avec un rayon de com avant qu’il ne passe dans le vortex serait déjà assez épineux.
« Vous croyez qu’ils ont pu obtenir un relevé fiable de nos signatures ? » demanda-t-il, plein d’espoir, à Alexsov. Mais le haussement d’épaules du chef d’état-major ne fut guère encourageant.
« Les forteresses, sûrement. Si elles ont informé la surface, et nous ne pouvons que le présumer, Élysée sait à présent qu’elle a affaire à des unités de la Flotte. D’autant que Contrôle assure que leur port est doté de senseurs assez puissants pour avoir obtenu une signature assez nette du Poltava… assez, en tout cas, pour permettre à la Flotte de l’identifier.
— Merde ! » Howell tira tristement sur le lobe de son oreille. C’était précisément ce qu’il avait redouté dans cette opération sur Élysée. L’attaque en elle-même ne l’avait pas inquiété, compte tenu des renseignements dont il disposait, mais, si jamais l’identité de ses vaisseaux venait à transpirer, leur véritable objectif serait ruiné. Ses gars et lui deviendraient réellement ce que tout le monde croyait déjà qu’ils étaient : de purs et simples pirates.
« Peut-être n’aurais-je pas dû m’élever contre l’idée d’envoyer deux vaisseaux, déclara aigrement Alexsov.
— Ne vous reprochez rien. Ortiz a merdé et vous aviez raison. La fable montée par Contrôle pour nous couvrir autorisait l’envoi d’un seul vaisseau “légitime”. Nous aurions dû prévoir qu’il… »
Le contre-amiral coupa sa phrase d’un blasphème. Ses senseurs à vitesse lumière n’avaient pas vu le drone FRAPS s’élever du sol de la planète en antigravité, mais l’étincelle bleuâtre émise par sa propulsion Fasset depuis qu’elle s’était activée scintillait très visiblement.
« Envoyez le code, ordonna-t-il d’une voix rauque et son officier des opérations opina.
— C’est parti », déclara le capitaine Rendleman, et Howell se rejeta en arrière dans son fauteuil pour observer. L’ordre d’autodestruction mettrait trente et une minutes-lumière pour rattraper le drone ; lorsqu’il saurait s’il avait ou non échoué, ses vaisseaux seraient parvenus à portée de tir de la planète.